Michel Rohmer
Je me sens entouré par un petit groupe d’artistes, des maîtres de l’aquarelle, qui m’ont montré un chemin et m’invitent à les suivre.
Mon premier émerveillement et mon attachement à l’aquarelle viennent d’un voyage à Londres avec les étudiants des Arts appliqués dans les années 1980. La Tate Gallery exposait une série d’aquarelles de Turner, des esquisses de petit format datant des années 1820 à 1830, jamais exposées. C’était pour la plupart, des bords de mer, de grands ciels en mouvement, des soleils blancs sur ciel jaune ou orange. La liberté du geste, la sûreté de la couleur, la vitesse d’exécution montraient ; en plus d’une habileté hors du commun ; une grande modernité, qu’on aimerait bien retrouver aujourd’hui… Oui, il y a presque deux siècles ! À une époque ou l’aquarelle était encore bien timide en France.
Ensuite c’est la rencontre avec Gottfreid Salzmann, l’œuvre d’abord, l’homme ensuite. Je découvre avec lui l’aquarelle puissante : la couleur forte, les valeurs intenses, le cadrage original, le point de vue hardi ; déroutant parfois ; en plus d’un dessin très sûr et d’une technique très savante du travail de l’eau. C’est cette force qui m’a donné envie de suivre cette voie. C’est cette manière de traiter l’aquarelle aujourd’hui que j’ai eu envie de pratiquer.
Un autre artiste qui a vraiment été un exemple est Andrew Wyeth. Américain, contemporain et, là aussi, la sûreté du dessin, la maitrise de la technique de l’aquarelle, où sujet souvent banal, devient une œuvre magistrale par le cadrage, la légèreté ou parfois la solitude pesante qui transparait. Tout est fait pour donner une impression de facilité et de plaisir de faire qui séduit et déroute quand on sait la complexité du processus.
D’autres encore ont jalonné mon parcours, comme des tuteurs ou des cairns du chemin. Delacroix dans ses carnets de voyage, Paul Klee en Tunisie où le sujet devient prétexte à une transposition aux limites de l’abstraction. Ou Marc Folly qui sait trouver la couleur dans des recoins de garage, des lumières dans un bidon d’huile et qui fait un objet rare d’une cuvette plastique sous un évier.
C’est ma longue intimité avec cette montagne du Mercantour qui a opéré la synthèse. D’abord les lacs, si nombreux, tous différents et bien reconnaissables, pour lesquels l’aquarelle est la technique la plus appropriée pour traiter le dégradé des reflets, les nuances des fonds profonds, et les surfaces brillantes. Mais aussi les grands plans éblouissants de la neige où le blanc du papier prend toute sa force, les ombres intenses, les rochers tranchants, les graphes des branches noires des mélèzes. Par tous les temps, soleil, neige, brouillard, nuages, tous les sujets méritent de s’arrêter pour regarder, poser le sac et sortir le carnet. Avec la tentation de vouloir faire passer ce qui me touche, ce qui émane de ces lieux souvent sauvages, isolés, parfois rudes et désolés mais merveilleux et attachants.
Une centaine de reproductions toutes quadrichromie, aux éditions Gilletta-Nice-matin , à Nice.